Résumé
Suscitant un intérêt particulier au début du XXe siècle, l’« art » traditionnel africain a vu sa valeur esthétique et économique prendre de l’ampleur sur le marché mondial de l’art, ceci au détriment de la valeur sociale chère aux populations locales. Longtemps évoqué en dehors de sa culture d’origine, cet « art » a été le plus souvent réduit, à tort, aux masques et statuaires. De plus, il a toujours fasciné par son exotisme. Cependant, l’ « art » traditionnel africain ne peut être apprécié à sa juste valeur sans une réelle connaissance et une profonde compréhension de la culture dont il a émergé. En effet, on ne peut dissocier l’œuvre artistique du quotidien de la vie traditionnelle africaine au sens large. Elle fait partie intégrante du mode de vie des peuples africains, des codes sociaux, des valeurs, etc. En ce sens, ce travail vise à repositionner l’ « art » traditionnel africain dans son contexte d’origine et à penser une démarche de sa réinsertion au sein des différentes communautés. Ce qui finalement devrait permettre d’ouvrir la voie vers une lecture culturelle et artistique fondé sur un paradigme originel.
Mots clés : art, tradition, africaine, culture
ABSTRACT
Arousing particular interest in the early twentieth century, traditional African « art » saw its aesthetic and economic value gain momentum in the global art market, to the detriment of the expensive social value. to local populations. Long evoked outside its original culture, traditional African art has most often been wrongly reduced to masks and statuaries. In addition, he has always fascinated by his exoticism. However, traditional African art cannot be appreciated at its true value without a real knowledge and deep understanding of the culture from which it emerged. Indeed, one cannot dissociate the artistic work of everyday life from traditional African life in the broad sense. It is an integral part of the way of life of African peoples, social codes, values, etc. In this sense, this work aims to reposition traditional African « art » in its original context and to think of an approach to its reintegration within the different communities. This should ultimately pave the way for a cultural and artistic reading based on an original paradigm.
Keywords: art, tradition, African, culture
Introduction
La restitution des œuvres artistiques africaines a longtemps fait l’objet de polémiques et de désaccords,
même si elle tend aujourd’hui à se concrétiser avec une restitution de 26 œuvres d’art par la France au Bénin (1).
En effet, elle s’est avérée complexe pour plusieurs raisons (Julien Volper, 2020). Entre autres, nous pouvons citer
de « graves problèmes historiques et juridiques, ainsi que des dangers idéologiques ». Il évoque notamment les questions liées à la légalité de la présence de ces œuvres sur le sol européen et le caractère exceptionnel de cette restitution appliquée aux pays africains. De plus, un manque d’infrastructures adéquates pour la préservation de ce patrimoine en cours de restitution est évoqué dans les points de tension.
Toutefois, au-delà des tensions suscitées par cette nouvelle politique de restitution, il est primordial de questionner la valeur sociale et les représentations qui sont rattachées à ces œuvres artistiques dans leur culture d’origine ; en d’autres termes : comment redonner aux œuvres artistiques africaines une réelle valeur sociale par une analyse affinée des représentations qui y sont rattachées dans les populations locales africaines ?
Répondre à cette question permettrait de mieux comprendre la nécessité des restitutions et amènerait les différents acteurs locaux à participer pleinement à leur réintégration au sein des communautés africaines. Aussi, cette démarche contribuerait à une évolution des productions contemporaines des artistes et designers africains qui doivent se faire héritiers et ambassadeurs de cette richesse patrimoniale locale. En effet, l’« art » ancestral africain représente une source de connaissances très souvent méconnue. Il est important d’oser penser ses œuvres artistiques au-delà de leur simple considération esthétique, exotique, ou encore mystico-religieuse.
Loin d’être une simple expression stylistique de la pensée primitive, de mysticisme ou de maîtrises techniques,
il est avant tout le fruit d’une démarche consciente, engagée, assumée et l’expression symbolique et/ou fonctionnelle culturelle de différentes communautés africaines.
Bien que l’«art» traditionnel africain ait été étudié sous plusieurs angles (archéologique, historique,
symbolico-réligieux), il n’a pas été un sujet de premier choix dans les études africanistes. Il a plus suscité
un intérêt pour son aspect stylistique. Or, avant d’être considérées pour leur esthétique au début du 20ème siècle, ces productions plastiques avaient essentiellement un statut ethnologique.
Toutefois, il est à noter l’existence de certains travaux qui ont abordée l’analyse des créations plastiques
sous un angle ethno-esthétique. En 1967, nous avons Jacqueline Delange et Michel Leiris qui pose les bases
de cette démarche dans le livre Arts et peuples de l’Afrique noire. Introduction à l’analyse des créations plastiques.
Ils préconisent une étude à la fois esthétique et ethnographique de ces objets. Celle ci s’illustre en France
par la transition des « œuvres » du musée de l’Homme et celui des Arts africains et océaniens à celui du quai Branly. Ce qui ne se fit pas sans difficultés. Il se posait un conflit entre les considérations esthétique et culturelle, entre l’histoire de l’art et l’anthropologie.
Par ailleurs, « L’image de la sculpture africaine comme « primitive » et comme associée à des rituels secrets et dangereux continue d’influencer la perception de l’« art » africain ». La notion de l’« art africain » était plus ou moins étrangère
aux sociétés d’origine des objets » (Peter Mark, 1998). Un tel constat nous place dans la réalité de la dénaturalisation
des productions plastiques africaines. Celle-ci a entraîné une décontextualisation culturelle par la mise en avant de leur esthétique qui « a servi à transformer les créations culturelles en « objet de valeur », (…) apprécié en dehors
du contexte culturel » (Peter Mark, 1998). Pour autant, l’appréciation de l’« art » africain tel qu’on le connaît aujourd’hui,
ne date que du XXe siècle. Ceci, grâce à l’intérêt que lui porte les collectionneurs et artistes occidentaux en quête d’une nouvelle esthétique. Aussi, l’arrivée de ces objets extra-européens a également entraînées plusieurs modulations de la définition de l’art.
Notons que « (…) hors de son milieu, retiré de son contexte, non seulement géographique mais aussi social, l’objet perd
son identité culturelle. (…) on tend à oublier la relation de l’objet africain avec son milieu d’origine, faisant abstraction
de l’évidente implication ethnologique » (Béatrice De Rochebouet, 2007). Ceci a conduit à la perte de leur identité originelle, leur retirant ainsi toutes fonctions socio-politiques, culturelles et religieuses.
Cette différence entre la nature réelle de ces objets et leur interprétation dans le monde occidental a aussi été mise en évidence dans le film documentaire Les statues meurent aussi (2). Il souligne l’absence des intentions et émotions de celui qui les crées dans le regard de l’occidental. « Parce qu’elles sont écrites dans le bois, nous prenons leur pensée pour des statues et nous trouvons du pittoresque là où un membre de la communauté noire voit le visage d’une culture».
Un caractère vivant leur est attribué dès les premières phrases: « Quand les hommes sont morts, ils entrent
dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art.». Cette perception se trouve renchérit par Philippe Dagen (in L’art primitif, un art moderne, 2019 (3)) : «Elles ne sont muettes que pour qui ne veut pas les écouter et elles ne sont aveugles que pour qui ne sait pas les regarder».
De plus, l’arrivée et l’adoption des religions importées sur le continent ainsi que la colonisation ont contribué
à dénaturer la culture traditionnelle et par ricochet l’art. Victime d’une perception principalement spirituelle,
ces « œuvres » ne correspondaient plus aux nouvelles croyances et au nouveau mode de vie.
Elles ont été dépossédées de l’histoire africaine. « Les religions comme le christianisme et l’islam au même titre que
le colonialisme ont tenté d’anéantir cette histoire en affirmant que les africains n’en avaient pas. Ce qui est faux car l‘Afrique est le berceau de l’histoire humaine comme le témoigne l’art ancien de l’Afrique de l’Ouest» (Aïssa Halidou, in Le marché des masques africains 2015 (2)).
Contrairement à ce que véhicule l’imaginaire collectif, l’« art » traditionnel africain ne se limite pas qu’aux masques et statuaires. Il s’exprime sous différentes formes entre autre la coiffure, le textile, l’architecture etc.
Avant de vous présenter nos premiers résultats sur ce sujet, il nous semble important, voire nécessaire
de vous exposer la démarche intellectuelle qui sous-tend ce travail. Il se base sur une étude documentaire
de travaux ayant déjà traité le sujet, s’inspirant notamment d’auteurs comme : Peter Mark, Claire Bosc-Tiessé, Aimé Césaire et de différentes sources audio-visuelles. Une analyse de toutes ces informations est effectuée
sous le prisme de connaissances de cultures africaines. Précisons toutefois que ce travail ne tient compte que
de l’Afrique sub-saharienne. Aussi, par « art » traditionnel africain, nous entendons les formes d’expressions
et de créations plastiques qui existaient en Afrique avant l’influence occidentale.
À la suite de ce qui a été développé plus haut, il apparaît que la décontextualisation culturelle des productions traditionnelles africaines a entraîné la perte de son essence. L’intérêt esthétique qui leur a été porté ainsi que
son exotisme leur ont conféré une valeur marchande au détriment de ses valeurs culturelles d’origine.
Ces objets ont ainsi été arrachés à leurs fonctions premières pour satisfaire la curiosité intellectuelle et esthétique sous d’autres cieux. Par ailleurs, la nouvelle vision du monde imposée à l’Afrique au cours de sa récente histoire
a contribué à un tel déracinement et à une compréhension tronquée de la culture ancestrale africaine.
Il est donc à noter que son expression plastique va au-delà des objets exposés dans les musées.
Elle s’étend à tous les niveaux de la vie et prend en compte aussi bien les objets que l’espace et le corps.
Cette diversité plastique n’était cependant pas destinée à être exposée. Ces productions étaient destinées à vivre
au sein de la communauté et à la servir. On peut donc se poser la question de la vie et de la fonction d’une œuvre dans ces cultures : que recouvre réellement le concept d’« art » traditionnel africain et quelle est sa place aujourd’hui sur le continent?
Pour répondre à cette question, il est indispensable de s’imprégner de quelques fondamentaux de cultures africaines que sont sa spiritualité et son organisation sociale. Fortement inscrites dans la spiritualité, les sociétés africaines se distinguent par la croyance en un monde invisible des ancêtres et des esprits qui disposent
de pouvoirs et influencent la vie quotidienne. Elles sont fondées sur la croyance de la présence d’énergies
dans toutes choses qui les entourent. Elles se caractérisent ainsi par des familles étendues jusqu’aux filiations ancestrales. Notons qu’au sein de ces organisations sociales, tout événement est relatif à un enseignement.
En ce sens, l’éducation est caractérisée par l’implication de toute la communauté et se fait de manière continue. Elle passe par des enseignements intellectuels, physiques, initiatiques, ludiques, voire même par une savante manipulation de la peur par les aînés.
Toutes ces formes d’organisations socio-spirituelles sont retranscrites à travers l’« art » africain. Elles inscrivent dans les productions artistiques l’histoire des peuples africains, leurs croyances, leurs structures sociales, etc. Dissocier l’« art » africain de ses fondements culturels, c’est le rendre orphelin de sa source d’inspiration et mettre en péril l’essence du continent : « (…) l’art africain est d’abord dans le cœur et dans la tête et dans le ventre et dans le pouls de l’artiste africain. L’art africain n’est pas une manière de faire, c’est d’abord une manière d’être, une manière de plus être (…) En Afrique, l’art n’a jamais été un savoir-faire technique, (…) il s’agit pour l’homme de recomposer la nature selon un rythme profondément senti et vécu, pour lui imposer une valeur et une signification pour animer l’objet, le vivifier et en faire symbole et métalangage » (Aimé Césaire, 1966).
Le Président de la République du Bénin Patrice Talon exprime aussi bien cette vision de l’« art » africain
dans son allocution lors de la restitution des 26 œuvres du Royaume d’Abomey. Il affirme que ces œuvres sont bien plus que des biens culturels du Bénin, c’est son âme. Ils relèvent de leur patrimoine génétique profond. Il continue en disant que cette restitution est un retour « chez eux, parmi les leurs » pour leur bien, leur tranquillité
et leur sérénité; « à Cotonou, (…) à leur arrivée, elles seront célébrées ». Ces propos révèlent la pertinence
de l’implication et de l’importance de ces œuvres au sein de leur culture.
C’est donc bien plus qu’une matérialisation de la pensée par le prisme d’une maîtrise technique.
C’est une représentation de l’africain dans sa nature et culture profonde : son histoire, son mode de vie,
voire son essence. Au-delà de son utilité mystico-religieuse, il permet de régir la vie socio-politique et de poser
les bases culturelles. Par exemple, en analysant de près les scarifications qui sont un moyen d’identification
et de traitement de maladies aussi bien que les pratiques « artistiques » collectives comme les peintures murales des femmes du village Tiébélé au Burkina Faso, on en arrive à la conclusion que l’« art » avait un rôle social déterminant dans les communautés africaines.
Fort de ces constats, nous pouvons dire que les productions artistiques sont des éléments à part entière
des communautés africaines. Elles y jouent un rôle social important et sont pour certaines des éléments fortement vivifiés. De plus, la notion de conservation dans un musée était inconnue de ces sociétés. De la sculpture aux performances des Djeli, en passant par toutes les autres formes d’expression plastiques, l’Afrique traditionnelle inscrit l’ADN de sa culture dans ses productions artistiques. Elles sont un héritage culturel utilisé comme moyen de communication à travers les générations. Elles permettent aussi d’échanger avec le monde des esprits conformément aux croyances spirituelles. On peut donc lire dans ces objets artistiques l’essence, la genèse
et l’histoire d’un groupe culturel. C’est le cas par exemple de l’interprétation des salières faite par Thiago Mota
qui permet de remonter la présence musulmane dans la région sénégambienne bien avant les dates proposées par les historiens.
Ainsi, une des caractéristiques principales de l’« art » traditionnel africain reste sa valeur symbolique.
Tous les motifs visibles sur les productions ne sont presque jamais simplement décoratifs ou esthétiques.
Ce sont des symboles qui racontent une histoire. D’une part, ils peuvent être considérés comme une forme d’écriture. Les symboles Adinkra du groupe culturel Ashanti au Ghana en sont la parfaite illustration. D’autre part,
ils racontent la mythologie propre à certains groupes culturels. C’est le cas du masque Kanaga (4) des Dogons
au Mali. En effet, à travers sa forme et ses pictogrammes, il véhicule un message et prend vie grâce
aux mouvements du danseur qui le porte. Ces mouvements sont à la fois des symboles et l’expression d’une idée précise, voire d’une écriture du corps.
Par ailleurs, il est également possible d’établir une identification culturelle ou hiérarchique en lisant
les scarifications et les tresses, véritables symboles culturels et formes d’écriture sur le corps. Vecteur
très important dans cette démarche « artistique », le corps est aussi bien un support plastique qu’un canal
de communication avec l’entourage et le monde invisible. Il s’exprime à travers la posture et les mouvements.
Par exemple, un masque ne vaut ce qu’il est en réalité que lorsqu’il est porté convenablement par un danseur.
Il lui donne vie et le fait parler aussi bien par sa voix que par ses mouvements. Alphonse TIEROU explique bien cette conception du masque en distinguant ses trois parties que sont le visage du masque, le costume
et la personne dans le costume. En l’absence d’une de cette partie, il n’y a pas de masque (5).
Le masque, qui ne se résume donc pas qu’à son visage, passe du statut d’objet inerte à celui de porteur de message. Il accomplit ainsi la mission qui lui est octroyée au sein de la communauté. De plus, cette importance du corps
se voit aussi dans l’interaction avec l’entourage et les esprits, aussi bien dans la posture que dans la gestuelle souvent contrainte par l’architecture et la mise en espace des objets. Les châteaux Tata sont un exemple d’illustration représentative parmi tant d’autres de ce style d’architecture.
On peut donc se rendre compte, au vu du développement qui précède, que les expressions plastiques des cultures africaines s’émancipent des attributs purement esthétiques et marchands. Elles sont avant tout l’expression
d’un art de vivre et d’une culture qui s’inscrivent dans un paradigme spécifique. Comme le dit Gert Chesi :
« Chaque forme d’art, quand elle est associée à un rite, est un élément de l’identité africaine » ( in Le marché des masques africains 2015 (2)). On ne peut donc pas parler de l’« art » traditionnel africain sans parler de l’identité et de l’histoire
qui sont propres aux diverses communautés de ce continent : « L’art africain, c’est le témoignage d’une grande culture » (Didier Claies in Le marché des masques africains (2)) ; « (…) leur étude (des masques anciens et productions plastiques) nous permet d’en apprendre plus sur notre propre histoire et notre culture » (Aissa Halidou in Le marché des masques africains (2)).
En résumé, à tort ou à défaut, la différence de l’« art » traditionnel africain avec les œuvres occidentales a été érigée en « art » dans une période où l’Occident était en recherche d’une nouvelle esthétique. Beaucoup d’objets
du quotidien qui diffèrent de ceux des occidentaux ont été considérés comme des objets d’art dans une fonction purement esthétique, ceci au détriment de leur grande valeur socio-culturelle. Laquelle valeur ne saurait être atteinte en dehors de la communauté d’origine. Leur restitution représente un retour de « témoins de la puissance et de la richesse (des) royaumes africains avant la colonisation » (Flavien Brice Alihonou in Restitution au Bénin : « Ces œuvres ont encore une valeur mémorielle très forte »). C’est «une reconnexion avec l’histoire, une réponse au besoin de se raccrocher à un héritage tangible des traditions du continent ne pouvant être réinventé à partir de rien; montrer aux générations à venir les traces
de cette histoire et de cette fierté. Ces objets ça dit tout le patrimoine, la civilisations, les croyances, la gestion du pouvoir essentiels pour se reconstruire» (Zinsou in L’art primitif, un art moderne ?(3))
En nous référant aux exigences de préservation des 26 trésors d’Abomey de Paris à Cotonou, on peut se poser
la question de leur conservation sur le sol béninois. Quelle est la place de ces œuvres restituées dans une Afrique héritière d’une vision occidentale de l’art?
Pour accueillir ses œuvres, un musée financé par un prêt de l’Agence française de développement est
en construction au Dahomey et vient s’ajouter aux 29 musées recensés au Bénin. La fin des travaux est prévue
en 2024. Pour sa gestion, un partenariat avec le musée du quai Branly-Jacques Chirac, permet la formation
des conservateurs. Ce transfert de compétence a pour but d’assurer un suivi adéquat à la préservation de ce riche patrimoine qui revêt aujourd’hui un double statut. En effet, on peut déjà établir le constat d’une considération
de ces objets partagés entre objets usuels intrinsèques à la culture et objets d’art, trésors patrimoniaux.
Loin d’être une source de confusion et de conflit intellectuel, cette dualité représente une opportunité
pour le monde de la création. À l’instar du système de prêt d’objets à des fins pratiques du Palais royal d’Abomey,
la réflexion peut être poursuivie. Elle peut ainsi aboutir sur leur mise en valeur dans leur dimension artistique
et ethnographique. Un travail conceptuel mixant les notions de conservation muséale et de réappropriation fonctionnelle est ici envisageable. Cette démarche permettrait de placer ces objets en tant qu’œuvres artistiques témoins d’histoires de civilisation et de les restituer dans leur rôle au sein de la communauté.
Aussi, comme le souligne Christian Kafer Kéïta (in Le débat africain – Retour des œuvres au Bénin : et maintenant, 2021) cette restitution constitue également une opportunité d’émancipation du continent vis-à-vis des frontières héritées
de la colonisation. Il propose l’idée d’une construction de musées interrégionaux prenant en compte les groupes culturels héritiers des mêmes œuvres.
Conclusion
Au vu de l’immensité des champs de créations culturelles de l’Afrique subsaharienne, il nous semble impossible d’en explorer toutes les facettes dans un seul article. Toutefois, il faut surtout retenir, au regard de notre analyse, que la décontextualisation culturelle de plusieurs œuvres africaines les a transformés en objets de simple curiosité de l’esprit aux valeurs marchandes. Assurer leur retour et leur rétablissement culturel, c’est permettre la réacquisition d’une grande partie de l’histoire et de la culture du continent africain. Ceci permettrait également
une redynamisation des pratiques artistiques dans un paradigme africain. L’artiste africain pourrait ainsi
se reconnecter à son histoire. Il pourrait s’en inspirer dans ses créations pour poser les bases d’une société contemporaine africaine inspirée des valeurs ancestrales (Saint Etienne Yanzi et Yoporeka Somet, 2021, (6)).
In fine, on ne peut donc envisager le retour et la conservation de ces objets sans la prise en compte
de ce qu’ils représentent originellement. Une étude de terrain s’imposerait quant à ce qui concerne le double statut de ces objets, à savoir celui d’œuvre d’art et d’objet culturel usuel. Peut-être faut-il penser à une notion de musée adaptée aux réalités culturelles du continent
Par ailleurs, on peut aussi se demander si la notion d’« art » africain est adaptée à cette pratique traditionnelle.
Ne serait-il pas intéressant de se poser la question d’une adaptation linguistique de cette pratique à l’instar
du Nihonga et du Bijutsu au japon et du Yishu en chine afin d’inscrire cette notion dans une vision plus africaine ? Étudier les créations africaines par le prisme de ses cultures traditionnelles semble une piste intéressante à cette recherche. Comprendre les productions à travers leurs sociétés d’origine ne serait-elle pas aussi une démarche appropriée dans cette recherche fondamentale qui consiste à lire les communautés et/ou sociétés africaines
à travers le sens et le pourquoi de leurs œuvres dites artistiques ? Dans quelles conditions ont-elles été créées ?
Qui était habilité à le faire ? Pourquoi, quand et comment ? Quelles sont les véritables clés pour entrer
dans ce monde qui peut paraître si flou et mystérieux ? Pour y parvenir, peut-être faudrait-il s’intéresser plus spécifiquement à la culture traditionnelle africaine, notamment à sa spiritualité et son organisation socio-politique à travers le temps.
Références
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- VOLPER J., Restitution du patrimoine culturel africain · Une erreur culturelle, une faute politique, Institut-thomas-more.org, Octobre 2020
- ZABALO X., Art nègre, approche anthropologique et historique, Centre de Recherches Pédagogiques Kinshasa, 1984
Articles
- Des milliers d’objets d’art détruits dans l’incendie d’un musée privé en République démocratique du Congo, Francetv Info
- Plusieurs milliers d’objets historiques détruits dans l’incendie d’un musée congolais, lefigaro
- Restitution au Bénin : « Ces œuvres ont encore une valeur mémorielle très forte » , Lepoint
- Restitution des œuvres : le Bénin entre fierté, frustration et espoir, Lepoint
- Un nouveau musée au Bénin accueillera les 26 objets restitués par la France en 2021, Juillet 2019, connaissance des arts.com
- Liste de musées au Bénin, wikipedia
Sources audio-visuelles
1- La France finalise solennellement la restitution de 26 œuvres d’art au Bénin, France 24, Novembre 2021 ()
2– LES STATUES MEURENT AUSSI, Chris Marker, Alain Resnais et Ghislain Cloquet, Mars 1953.
3- L’art primitif, un art moderne ?, Décembre 2019, France Culture
4- Le masque Kanaga, objet emblématique du Mali, TV5 Monde Infos, Septembre 2019
5- ALPHONSE TIEROU – VOICI LE PÈRE DE L’ALPHABET DE LA DANSE AFRICAINE, La Dépêche d’Abidjan TV, Décembre 2015
6- Histoire : La voie Cheikh Anta Diop, Université populaire du quai Branly, Avril 2021
7- Œuvres africaines, restitution totale ? 26 objets d’art pillés bientôt de retour au Bénin, France 24, Octobre 2021
8- Faut-il restituer aux pays africains leurs œuvres d’art ?, L’Obs, 30 Nov 2018
9- Le débat africain – Retour des œuvres au Bénin : et maintenant ?, RFI, Décembre 2021